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samedi

Mr Smith à Juzet de Luchon

"Mr Smith au Sénat" de Franck Capra vient nous rendre visite au foyer de Juzet de Luchon à 20h30 le vendredi 27 mai. Qui pourra refuser de voir James Stewart à ses débuts ?!



Franck Capra passe pour un indécrottable optimiste, au point qu’on lui reproche parfois d’avoir abusé des bons sentiments pour prouver que la vie, décidément, était belle.

C’est oublier ce Monsieur Smith au Sénat qui traduit une vision très critique et courageuse de la société américaine, et ne semble sacrifier qu’à contrecœur (et in extremis) à l’incontournable happy end.
Le sénateur d’un état de l’Ouest américain vient de mourir. Sam Taylor, homme d’affaires véreux et magnat de la presse locale, ordonne au gouverneur de nommer à sa place un homme de paille, « qui obéira aux ordres » – c’est-à-dire qui ne remettra pas en cause un projet de loi destiné à l’enrichir encore davantage. Le choix du gouverneur se porte sur Jefferson Smith, chef des scouts du coin, un idéaliste naïf et sans expérience que l’on pense pouvoir manipuler sans trop de difficulté. Mais Monsieur Smith, aidé par sa charmante secrétaire, finit par découvrir le complot, qu’il n’aura dès lors cesse de dénoncer et de faire échouer.

En face de Taylor et de ses affidés, Jefferson Smith ne semble pas pouvoir faire le poids. Il n’est pas à sa place à Washington (tous, y compris ses alliés, ne cessent de le lui répéter), où ses enthousiasmes et son provincialisme lui valent d’être la risée du Gotha et de la presse. Mais le film n’épouse pas le regard sarcastique des citadins cyniques, sophistiqués et cruels. Au contraire, ce sont ces derniers qui sont tournés en ridicule, tandis que le personnage principal est dépeint avec une réelle tendresse. Il y a bien sûr un soupçon de populisme dans l’opposition un rien schématique entre un représentant de l’Amérique profonde, porteur des vraies valeurs, et les intellectuels de la capitale, que leur culture et leur intelligence ont pervertis plutôt que rendus plus sages. Mais il y a aussi dans Monsieur Smith au Sénat (comme d’ailleurs dans toute l’œuvre de Capra) une nostalgie de la pureté et de l’innocence perdues dont la sincérité ne peut qu’émouvoir.
Il faut mesurer tout ce que le portrait de Sam Taylor, riche capitaliste sans scrupules achetant (littéralement) les représentants politiques et les journalistes, pouvait avoir de subversif en 1939 (et encore aujourd’hui, soit dit en passant – cette figure étant loin d’avoir perdu de son actualité). Interprété par Edward Arnold, acteur fétiche de Capra, ce personnage est tellement imbu du pouvoir que lui confère sa richesse, qu’il est persuadé que rien ne peut venir entraver ses projets. Mis à mal par la pugnacité de Smith, il n’hésite pas à recourir aux pires stratagèmes pour arriver à ses fins : intimidation, tentative de subornation, diffamation, désinformation, musellement de la presse, répression de manifestations, fabrication de fausses preuves, voire recours à la bonne vieille violence physique, les hommes de main de Taylor allant jusqu’à malmener et blesser les enfants qui soutiennent Smith.
Bien sûr, le film fait mine de ne pointer que des déviances isolées (un seul état est montré comme corrompu sur les quarante-huit que comptait alors l’Union) et prend bien soin de ne pas remettre directement en cause un système électoral qui favorise l’oligarchie. La figure du président du Sénat, homme bon dont les sourires communicatifs servent de relais émotionnels entre le spectateur et Smith, a ainsi été visiblement imaginée pour atténuer cette vision d’une institution dont les travers et les insuffisances sont par ailleurs impitoyablement mis en lumière. Les hommes politiques de l’époque ne s’y sont pas trompés : ils s’offusquèrent du miroir que leur tendait un film qu’ils jugèrent anti-américain – voire procommuniste ! Quant à la presse, malgré là aussi les précautions du scénario qui fait affirmer par une poignée de journalistes, le temps d’une scène, qu’ils œuvrent avant tout pour le bien du peuple américain, elle n’apprécia pas non plus de voir étalées au grand jour ses relations incestueuses avec les puissances de l’argent. Elle se montra donc très dure envers le film... ce qui n’empêcha pas ce dernier de rencontrer un énorme succès public.
L’ambassadeur des États-Unis à Londres, Joseph Kennedy (le père du futur président), craignant que la propagande des pays de l’Axe ne se serve de Monsieur Smith au Sénat pour discréditer la démocratie américaine, demanda à Harry Cohn, alors à la tête de la firme Columbia, d’interdire sa diffusion en Europe. Cohn refusa de céder, et il fit bien : le film, bien trop subversif, se retrouva interdit dans toutes les dictatures de l’époque (Allemagne, Russie, Italie, Espagne) et suscita l’admiration dans les nations alliées aux États-Unis.
Il faut dire que ses dialogues sont sans ambiguïté, prenant bien soin de rappeler la supériorité du système démocratique américain : « cette démocratie que de grands hommes ont donné à la race humaine ! » On peut sourire (ou s’énerver) face à cette prétention messianique que l’on retrouve encore de nos jours outre-Atlantique, mais force est de constater que Monsieur Smith au Sénat constitue une machine de guerre d’une efficacité redoutable en faveur du modèle américain.
Il s’agit bien d’une des œuvres les plus puissantes qu’ait jamais produit Hollywood. Il serait injuste et abusif de considérer Capra comme le seul auteur de Monsieur Smith au Sénat, le film devant beaucoup au scénario de Sidney Buchman, alors membre du Parti Communiste américain (il fut d’ailleurs blacklisté à l’époque du maccarthysme), et bien sûr à l’interprétation magistrale de James Stewart, impressionnant en candide qui se transforme en David pathétique combattant le Goliath financier jusqu’aux dernières limites de ses forces. Mais Capra vient couronner cette conjonction de talents par une mise en scène d’une impressionnante maîtrise, enchaînant des séquences classiquement théâtrales, et admirablement réglées, avec des moments dignes des films d’avant-garde d’Eisenstein. La visite de Washington multiplie ainsi les collages et les surimpressions, dans un montage éblouissant qui représente sans doute ce que le cinéma américain a produit de plus magnifiquement propagandiste, au sens le moins péjoratif du terme.

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